Présents: Pierre Blachier, Éloïse Coutaz, Michel Wienin, Béatrice Racapé, Christelle Janin, Cordelia Delaître, Noé Vergez, Mickaël Leroy.
entrée: 9h30
sortie: 18h
Rendez-vous fixé à 9h, nous nous équipons rapidement et nous engouffrons vers 9h30. Nous profitons d'être nombreux pour acheminer le plus de matériel possible, nécessaire aux explorations. Les sacs sont bien remplis : presque 200m de corde, amarrages, eau, matériel de premier secours, appareil photo et flashs... Première mesure de CO² au niveau de la buse, 1% contre 2,5% quatre jours plus tôt, voilà qui est rassurant! A la chatière des sables, la baisse est moins significative, 2,8% contre 3,1 mais ça va dans le bon sens. Peu avant midi, nous atteignons la galerie des "enfants de la lune" où Michel remarque un magnifique fossile de nérinée.
Nérinée de la galerie des enfants de la lune |
Les
nérinées sont une famille de gros escargots marins de forme conique
aiguë devenant parfois cylindriques dans les formes âgées. La
coquille est très épaisse, ce qui correspond à une adaptation à
des eaux peu profondes, agitées, avec prédateurs, souvent au
voisinage de récifs coralliens ou de bancs de rudistes (comme c’est
le cas à Orgnac). Côté intérieur, la coquille porte un ou
plusieurs « plis » (en fait des sortes de crêtes
internes) à fonction de renforcement caractéristiques des
sous-genres et des espèces.
Ce
groupe s’individualise au Jurassique moyen, entre -170 et -165
Millions d’années, et se développe jusqu’à la fin du Crétacé
(-65 Ma) où il disparaît en même temps que les dinosaures, les
rudistes et les ammonites. Le groupe actuel le plus proche est celui
des cérithes qui vit dans toutes les mers tièdes et surtout chaudes
du monde (Cerithium vulgatum sur toutes les côtes françaises,
en particulier en Méditerranée).
Le
nom de nérinée a été créé par dérivation de celui de Nérée
(en grec Νηρεύς / Nèréus), divinité de la mer Egée
dans la mythologie grecque.
Une
douzaine d’espèces de nérinées a été décrite dans les
calcaires urgoniens du SE de la France. La forme qui me paraît
ressembler le plus à la nôtre me semble être Nerinea
Coquandiana (voir image de la description d’origine par A.
d’Orbigny dans la Paléontologie française, t. II, pl.
156, Paris, 1842-43. N. gigantea est également fort
proche.
Il est presque midi, nous décidons de manger.
Une
fois restauré, le groupe se scinde en 3 équipes:
-Michel
et Béatrice ont balisés un tronçon d'environ 80m, entre
l’orfèvrerie et la zone des grands puits. La bobine cassée lors
du transport fera un énorme sac de nœuds. De quoi les occuper un
moment !
Béatrice et Michel au balisage |
-Christelle,
Cordélia, Noé et Mickaël ont pris quelques photos pour documenter
le présent compte-rendu.
-De
leur côté, Pierre et Éloïse ont re-équipés la première
verticale de la zone des grands puits. Il y a déjà une corde en
place mais les amarrages en zicral sont complètement oxydés par la
corrosion, il n'y a rien de réutilisable. Ce matériel a été
ressorti et remplacé par des amarrages en inox, insensibles à
l'agressivité du milieu.
Mesure
de CO² : 2,4% au niveau de la tête de puits, 3,1% à la vire de
-25.
A
la jonction entre le sommet des grands puits et Orgnac III, nous
avons pu observer de nombreuses concrétions effondrées, larges
parfois de plusieurs mètres. Ce qui les caractérise, c'est le fait
que la surface de la cassure soit parfaitement plane. Il y a beaucoup
de massifs effondrés dans les réseaux d'Orgnac – Issirac, mais
les points de cassure ne sont pas en plan aussi net. A première vu,
cette planéité est dû à de la corrosion. Ce pose alors la
question de son origine et Michel a bien une théorie sur le sujet !
calcite corrodée |
Théorie de Michel sur les calcites corrodées:
Contrairement à d'autres concrétions victimes d'une reprise d'érosion par un écoulement d'eau devenue plus acide, je pense que ces grosses stalagmites renversées du réseau III (que j'ai également remarquées) sont brisées (traces d'écaillage bien visibles) et assez faiblement corrodées par le classique phénomène de condensation-corrosion : de l'air chaud et humide (orage, saison humide estivale...) rentre dans la grotte et se refroidit : une partie de la vapeur d'eau se condense sous forme de micro-gouttelettes dans l'atmosphère ou directement sur les parois, en équilibre avec le CO2 de la cavité, elle attaque très lentement la calcite et s'écoule très lentement vers le bas. Ce phénomène est à l'origine de l'effacement progressif des formes de creusement (coups de gouge par exemple) des galeries les plus anciennes et recouvre les parois ou les concrétions d'une couche de mondmilch puis de calcite pulvérulente qui tombe lentement au sol. Même dans de bonnes conditions (températures et hygrométries extérieures élevées, CO2...) ce phénomène est très lent et ne dépasse guère quelques microns par siècle (µ/siècle, ce qui correspond à 1 cm/Ma (Million d'années) !). Probablement moins ici car il ne semble pas manquer plusieurs cm aux formes de la cassure .
Une autre cause de modification est le vieillissement proprement dit de la concrétion . Les stalagmites brunes sont colorées par de la matière organique en provenance du sol : acide humique et acide fulvique, tanins divers... parfois liées à de l'argile (humines du complexe argilo-humique). Ces particules organiques perturbent le réseau cristallin de la calcite qui ne donne plus d'assez gros cristaux bien formés avec des plans de clivage réguliers (scalénoèdres dits "dents de cochons") mais une multitude de micro-cristaux de structure irrégulière et imbriqués. Un certain nombre de micro-organismes, en particulier des cyanobactéries vont utiliser les acides organiques pour se nourrir. Elles peuvent en particulier craquer les très grosses molécules d'acide humique brun sombre en acide fulvique jaune et parfois celui-ci en molécules polycliques encore plus légères (acide anthracénique etc.). Selon les conditions chimiques ambiantes, on peut observer en conditions acides (CO2) une corrosion semblable à la précédente mais qui détache les micro-cristaux sur plusieurs millimètres et souvent centimètres de profondeur ou (milieu oxydant) une recristallisation de la calcite sous la forme de cristaux visibles en général perpendiculaires aux lits de dépôt. Je pense qu'on est dans ce cas à Orgnac 3.
Pour ce qui est de la datation de ces gros massifs, il faudrait voir les résultats des datations U/Th de la calcite pour avoir un résultat précis mais je ne les ai pas (voir avec Edytem !). La logique propose une formation à la fin de la période de fonctionnement ou relativement peu de temps après avec un dépôt sur les alluvions (sables, limons, argiles...) qui ont partiellement rempli les galeries avant leur abandon définitif puis leur soutirage progressif à l'origine du basculement des gros piliers d'Orgnac. Donc, logiquement entre le 2e moitié du Miocène (Tortonien et Messinien) et la première partie du Pliocène (Zancléen), soit entre 11-12 et 5 Ma, c'est le moment des derniers mouvements de soulèvement de la région par contrecoup de l'orogénie alpine. Je ne suis pas compétent pour en dire davantage.
A
la sortie de l’orfèvrerie, nous en profitons pour laisser un stock
de bouteilles d'eau ainsi qu'un bidon de premier secours avec de quoi
monter un point chaud.